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Celle qui avait connu la prison

52 Ancêtres en 52 Semaines, Semaine 24 : Des temps difficiles


Note : Cet article traite d'un sujet difficile, celui de l'infanticide.



52 Ancêtres en 52 Semaines, dans le texte original 52 Ancestors in 52 Weeks, est un challenge d'écriture généalogique proposé par Amy Johnson Crow.


Au cours de mes recherches sur ma branche montpelliéraine (famille PONS, établie à Montpellier vers 1815), j'ai essayé de savoir ce qu'il était advenu de Jeanne MARQUET, devenue veuve à 24 ans, lorsque son mari Antoine PONS meurt accidentellement en 1837.

Antoine PONS est le frère aîné de Jeanne PONS, mon ancêtre à la cinquième génération.


Jeanne MARQUET dans mon arbre
Jeanne MARQUET dans mon arbre (branche LAFABRIÉ). Généatique, 2024

Mes recherches m'ont d'abord aiguillée vers la presse locale, puis m'ont conduite vers les archives judiciaires — que je n'avais jusqu'alors jamais explorées...


Mais reprenons depuis le début...


La repasseuse, Edgar Degas
La repasseuse, Edgar Degas (vers 1869). Source : WikiMedias

Des conditions de vie précaires (1813-1841)


Nous sommes le 1er avril 1832, à Montpellier (Hérault).

Antoine PONS, tisserand âgé de 21 ans, fils de Pierre PONS et de Jeanne GOUZIN, épouse Jeanne MARQUET, repasseuse âgée de 18 ans, fille d'Antoine MARQUET et de Jeanne TREILLET [1]. Ni les époux, ni leurs parents ne savent signer. Les familles sont modestes – particulièrement celle de Jeanne, dont les parents sont journaliers.


Trois ans après le mariage, en 1835, naît Joseph Antoine PONS, dans la maison Daumas sise rue basse.



En 1836, Antoine PONS est recensé chez ses parents Pierre et Jeanne, avec la plupart de ses frères et sœurs.

Jeanne MARQUET est quant à elle recensée chez ses parents, avec sa nombreuse fratrie. Tous les enfants de 13 ans et plus sont, comme les adultes, journaliers – une indication quant à des conditions de vie difficiles.

Nulle trace du petit Joseph Antoine PONS, en revanche... Était-il placé en nourrice ?

Pourquoi le couple ne vivait-il pas sous le même toit ?

Autant de questions qui restent sans réponse.


Montpellier, recensement 1836. AD34, cote 6 M 505


En 1837, coup de tonnerre : le dimanche 11 juin, en déplacement à Lattes, Antoine meurt « à dix heures du matin, sur la propriété de la Jasse de Maurin ». Il avait 27 ans.

Jeanne MARQUET, âgée de 23 ans, est désormais veuve, avec un enfant de 2 ans à charge.


Je retrouve Jeanne MARQUET dans le recensement de 1841. Elle vit seule, est journalière, et je ne sais toujours pas où habite son fils Joseph Antoine. Jeanne n'est pas indiquée comme étant veuve PONS – contrairement aux autres femmes veuves dans le registre.



Désespoir et déshonneur (1846-1848)


C'est par hasard que je retrouve Jeanne dans la presse locale, en 1846, et que je remonte le fil de cette histoire tragique :

Jeanne MARQUET est écrouée à la maison d'arrêt, pour infanticide sur la personne de sa fille, née viable quelques jours auparavant. Veuve, non remariée, elle a, comme beaucoup d'autres femmes de son époque, fais le choix douloureux de supprimer son enfant pour essayer d'échapper au déshonneur.


Dans sa thèse La criminalité féminine devant la Cour d'assises de l'Hérault (1811-1870), Perrine DUBOIS note que « l'enfant à naître place sa mère dans une situation de détresse telle qu’elle envisage un crime. Le premier geste tenté par la femme est l’avortement. (…) Dans de nombreux cas, l’infanticide est un avortement manqué. Les moyens utilisés n’ont pas fonctionné, la grossesse est arrivée à terme et la mère désespérée supprime son enfant. [2] »

La criminalité maternelle est une conséquence d'une contraception non maîtrisée, d'une sexualité souvent subie.

La femme, triplement victime : éternelle mineure, elle subit un monde pensé par et pour les hommes ; elle doit assumer seule les conséquences d'une grossesse non désirée ; en dernier recours, elle affronte le traumatisme d'un acte criminel dont elle doit ensuite subir les conséquences.


Déjà en 1763, Cesare BECCARIA, dans Des délits et des peines, écrivait :

« L’infanticide est le résultat inéluctable de l’alternative où est placée une femme qui a succombé par faiblesse ou qui a été victime de la violence. Entre la honte et la mort d’un être incapable de ressentir les atteintes, comment ne choisirait-elle pas ce dernier parti, plutôt que d’être exposée, avec son malheureux enfant, à une misère certaine ? »

Le dernier article de presse concernant l'affaire Jeanne MARQUET va dans le sens de cette analyse :

« La veuve Poncet, née Jeanne Marquet, journalière à Montpellier, est une pauvre femme de 32 ans ; c'est elle qui, après un accouchement clandestin, enterra son enfant derrière les arceaux ».

L'infanticide est une forme particulière d'homicide volontaire ; il constitue un crime, et en tant que tel il est jugé aux Assises.

Trois circonstances doivent être réunies pour que l'infanticide soit caractérisé : que l’enfant soit né viable, que la mort ait été donnée volontairement à l’enfant (homicide volontaire), que l’enfant soit un nouveau-né (généralement jusqu’à 3 à 8 jours après sa naissance) [3].

La peine maximale encourue est la peine capitale.

Mais d'une part, il est difficile de prouver le caractère volontaire de l'homicide et l'infanticide est souvent requalifié en homicide involontaire (peine maximale encourue, 2 ans d'emprisonnement) ; d'autre part, le jury est souvent enclin à la clémence. De nombreuses mères infanticides sont ainsi acquittées [4].

Pour autant, les juges entendent bien sanctionner les coupables. C'est pourquoi il est de plus en plus fréquent au cours du XIXe siècle d'avoir recours à la correctionnalisation pendant le jugement. On constate alors que les juges prononcent des peines supérieures à celles proposées par le jury.


Jeanne MARQUET sera ainsi condamnée à deux ans d'emprisonnement, le 19 août 1846, pour « homicide involontaire par maladresse ou imprudence ».

Elle est incarcérée à la Maison centrale de détention de Montpellier. Elle est libérée au terme de sa peine, le 18 août 1848.


La fin de vie de Jeanne (1858-1887)


Je ne sais pas grand chose de Jeanne après son séjour à la prison de Montpellier.

Elle a visiblement vécu seule, sans jamais se remarier.


Je la retrouve le 23 novembre 1858. À l'Hôtel de ville de Montpellier, son fils Joseph Antoine, plâtrier désormais âgé de 23 ans, épouse Jeanne Élisa BOUDET, ouvrière à la journée de 21 ans. Jeanne, blanchisseuse, est « présente et consentante ».

En 1880, elle est également présente et consentante au second mariage de son fils. Elle est alors âgée de 66 ans et travaille toujours comme blanchisseuse.


Jeanne meurt à son domicile, 20 rue Subleyras à Montpellier (quartier des Arceaux), le 30 octobre 1887, à l'âge de 74 ans. Son décès est déclaré par son frère Bernard MARQUET.

Les tables de successions et d'absence mentionnent un certificat de carence.


 

NOTES


[1] Parmi les témoins, notons la présence de Fructidor FOURNIER, au prénom très républicain.


[2] DUBOIS, Perrine. La criminalité féminine devant la Cour d’Assises de l’Hérault (1811-1870). Thèse de doctorat, Université Montpellier I, 2014. [NNT : 2014MON10044] (p. 32).


[3] DUBOIS, P. Op. cit., p. 110.


[4] Selon les chiffres recensés par Perrine DUBOIS, sur la période étudiée, 35 % des accusés d'infanticide sont acquités, 23 % sont emprisonnés, 3 % sont condamnés à la peine de mort. (Op. cit., p. 637)

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