52 Ancêtres en 52 Semaines, Semaine 39 : « Homestead »
Le terme de « homestead », dans l’histoire états-unienne, fait référence à ces concessions que les colons pouvaient réclamer comme leur pleine propriété [1] après l’avoir occupée et travaillée pendant 5 ans [2].
Pour cet article, j’ai choisi de lui conférer une autre acception, et de le replacer dans l’histoire d’une autre conquête, celle des terres gagnées sur l’eau, aux Pays-Bas [3].
Ma famille maternelle est originaire de l’île de Goeree-Overflakke, province de Hollande-Méridionale – dans le delta de la Meuse et du Rhin.
Voici une carte de l’archipel en 1300 – les premiers polders ont alors déjà été endigués :
En 1421, on constate que l’archipel sud-est est entièrement relié par des polders, formant le pays de Zuidvoorne, ou Overflakee. Il y a désormais deux îles, Goeree (pays de Westvoorne) et Overflakkee :
Une digue relie les deux îles à partir de 1751.
« Grâce à cette digue, des terres se formèrent du côté nord-est ; celles-ci furent cédées par l’état de Hollande à des particuliers, sous conditions, afin qu’ils les endiguent sous un délai de 36 ans. Dans le même temps, ces terres furent érigées en seigneurie et reçurent le nom de Stellendam [4]. »
« En l’an 1780, le Eendragts polder [polder de l'unité] a été endigué. Ainsi nommé en raison de l’union qu’il représente : grâce à ce polder, les deux îles furent désormais complètement réunies [5]. »
La seigneurie de Stellendam est ainsi entièrement constituée de terres gagnées sur l’eau.
On dit que le sol en est « très fertile et produit : de la garance, du blé, de l’orge, des pois, du seigle, de l’avoine, des haricots, du lin, du colza, et des pommes de terre ; on y trouve aussi des terres très adaptées à la pâture [6]. » Une ferme de garance (meestoof) est attestée dès l’année 1790. Les principales sources de revenus sont l’agriculture, l’élevage et la pêche.
Le village de Stellendam est situé dans le Eendragts polder, et on fait remonter sa fondation à 1782, année où la première maison en pierre est érigée – par Iman CAU, seigneur de Stellendam.
Les premiers registres paroissiaux débutent en 1774. Entre 1774 et 1780, deux familles au moins sont établies, les LOKKER et les KORTEWEG – ce sont les deux familles qui apparaissent dans les registres de baptême sur la période. Cornelis LOKKER et Anthonij KORTEWEG sont échevins – ils font partie du conseil de la seigneurie.
Les « pionniers » de Stellendam dans mon arbre
Les WITVLIET : Aren Cornelisz WITVLIET et Pieternella de MUNNIK (sosa 206 et 207) s’y établissent dès 1782. Aren Cz est le cousin de Aren Az WITVLIET, échevin de la seigneurie.
Aren et Pieternella ont 12 enfants entre 1783 et 1801. Deux de leurs filles épouseront un échevin ou fils d’échevin : Cornelia épouse Maarten van OOSTENBRUGGE (second mariage de l’époux) en 1804 ; Lena épouse Jan LOKKER, fils de Cornelis LOKKER et Cornelia van ES, échevin et propriétaires de la région.
Les BRINKMAN : Human BRINKMAN et Geertruijd BINNEWEG (sosas 192 et 193) s’installent à Stellendam vers 1783-1795. ls ont déjà 3 enfants, nés à Ouddorp : Frans, Cornelia et Abraham (sosa 96). Leurs 5 autres enfants naîtront à Stellendam.
Les van LENTEN : Abraham van LENTEN et Krijna KOOMAN (sosas 204 et 205) s’installent courant 1804 à Stellendam, en provenance de Dirksland, avec leurs 7 enfants. Leur fils aîné Dirk van LENTEN (sosa 102) épousera Laurina WITVLIET (sosa 103) en 1818.
En 1795, la seigneurie de Stellendam compte 237 habitans. Parmi elleux, 9 WITVLIET et 6 BRINKMAN. Les familles ne sont pas financièrement aisées, puisqu’elles ne sont pas en mesure de payer pour les enterrements de leurs enfants (Cornelis WITVLIET en 1787, Hendrica BRINKMAN en 1798, tous deux enterrés pro deo [7]).
En 1810, la seigneurie compte 60 maisons et 420 habitans. Parmi elleux, 13 WILTVLIET, 7 van LENTEN et 8 BRINKMAN.
Les BRINKMAN de Stellendam
Originaire de Ouddorp, à une heure et demie de marche, Human BRINKMAN était déjà familier depuis une dizaine d’années des terres de Stellendam : en juin 1784, il achète aux enchères du foin de trèfle sur pied, puis en novembre de la même année de l’orge d’hiver sur pied. Petit fermier (bouwman), Human avait certainement quelques têtes de bétail à nourrir.
La famille s'établit définitivement à Stellendam autour de 1795.
Deux actes notariés de 1795 et 1799 nous apprennent que les BRINKMAN vivent dans le village-même, entre la Sluisweg (aujourd’hui, Voorstraat) et la Agterweg (aujourdhui Meester Iman Caustraat), entre la maison mitoyenne de Gerrit BAKKER et la maison de Angeniet HEINTJES, vers la sortie du village, puisque la maison de Angeniet HEINTJES est bordée par les terres du polder :
« La moitié d'une maison et un terrain situés dans ce village, bordés au nord-est par l'autre moitié de ladite maison, au sud-ouest Human Brinkman, au sud-est la agterweg et au noord-ouest la sluisweg... »
« Sa maison et son terrain situés dans ce village, bordés au nord-est par Human Brinkman, sud-ouest le polder, nord-ouest la sluisweg et sud-est la agterweg... »
Les travaux agricoles rythme la vie de la famille. Je ne pense pas que Human était alors propriétaire de terres agricoles [8], aussi louait-il certainement sa force de travail aux laboureurs des environs.
Chaque maison avait cependant un terrain attenant, pour son usage personnel. On y cultivait des pommes de terre (« notre pain quotidien » selon les mots de B. BOERS), des haricots, des pois – qui constituaient la base de l’assiette. Peut-être avait-on également un pommier ou un poirier. On se chauffait au bois ou à la tourbe ; on buvait du café et de la bière, certainement du genièvre (alcool de céréales aromatisé au baies de genièvre) ; on fumait la pipe. — C’est du moins ainsi que B. Boers décrit les dépenses courantes d’un ménage pour l’année 1843.
On allait pêcher la crevette – la crevette grise de Stellendam, désormais presque un produit de luxe.
Peut-être effectuait-on des cueillettes sauvages pour agrémenter la soupe : du cresson, de l’oseille, de l’ortie ; du genièvre pour relever les plats mijotés ; de la mauve et la camomille pour les infusions. Le sureau noir est endémique de l’île ; peut-être en faisait-on déjà des sirops et du vin.
Les BRINKMAN allaient rester durablement à Stellendam. 230 ans plus tard, certains descendants de Human BRINKMAN y résident toujours.
NOTES
[1] Ces terres n’étaient bien évidemment pas « sauvages » du tout et ont été arrachées aux peuples premiers.
[2] Au cours du XIXe siècle, plusieurs lois états-uniennes ont encouragé la colonisation et la conquête de l’Ouest, notamment le Homestead Act de 1862.
[3] Actuellement, 17 % de la surface des Pays-Bas sont des polders.
[4] B. BOERS, Beschrijving van het eiland Goedereede en Overflakkee [Description de l’île de Goedereede et Overflakkee], Sommelsdijk, J. Jongejan, 1843, p. 59.
[5] B. BOERS, ibid., p. 59.
[6] B. BOERS, ibid. p. 131.
[7] L’enterrement pro deo est le plus courant dans la paroisse. En 1780, les 15 enterrements enregistrés sont faits pro deo. Rares sont les familles à pouvoir payer les enterrements : LOKKER, KIEVIT, KORTEWEG, Aren Az WITVLIET. Notons qu’il s’agit – bien sûr – des familles que l’on retrouve dans le conseil de la seigneurie.
[8] Je n’ai pas trouvé d’acte d’achat de terres à Stellendam. On sait en revanche que Human devient propriétaire terrien au plus tard en 1814, année où il achète des terres sur la commune de Ouddorp (île de Goeree).
C’était très intéressant, ne connaissant pas du tout l’histoire des Pays Bas !
Marina