52 Ancêtres en 52 Semaines, Semaine 7 : Immigration
52 Ancêtres en 52 Semaines, dans le texte original 52 Ancestors in 52 Weeks, est un challenge d'écriture généalogique proposé par Amy Johnson Crow.
Ils vivaient sur une île pauvre des Pays-Bas, soumise aux aléas des inondations, des crises agricoles et des épidémies de choléra. Les familles étaient nombreuses, et le travail trop souvent rare. Ils partirent par milliers, et le gros des effectifs de l’entière province de Hollande-Méridionale provenait de l’île.
Ainsi que l’écrit Robert Schoone-Jongen dans son article « There was work in the valley » :
« Goeree-Overflakkee a été décrite comme une “île arriérée et autonome, isolée du continent” [Swierenga, Faith and family, p. 86.] Ses habitants menaient des existences précaires en tant que petits fermiers ou pêcheurs. La seule culture rentable de l’île était la garance, dont la racine produisait un colorant rouge utilisé pour le coton, la laine et la soie. Les mauvaises récoltes des années 1840 ont gravement affecté l’économie de l’île, poussant 40 % de sa population à bénéficier de l’assistance publique en 1845. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que l’émigration présente des avantages, et les Flakkeers joignirent la Grande Émigration[1] ».
C’est ainsi que des familles entières sont parties à la recherche de meilleures conditions de vie aux États-Unis d’Amérique (USA).
Lorsque j’ai commencé à identifier certains membres de ma famille partis pour les USA, j’ai utilisé deux sources principales :
Les registres de population de l’administration néerlandaise, tenus sur de longues périodes (1850-1860 ; 1861-1890…) et qui indiquent tous les changements dans la situation familiale : naissances, décès, déménagements ;
Les listes d’émigrants, par province, pour la période 1847-1877.
Ce fut comme ouvrir une boîte de Pandore.
On parlait dans la famille des « cousins d’Amérique ». Mais de quels cousins parlait-on ? Il y en avait tant…
À ce jour, j’en ai recensé 97.
Spécificités de l'émigration néerlandaise
Bien que les Pays-Bas soient l’un des pays européens les plus densément peuplés et les plus touchés par les disettes du 19e siècle, les Néerlandais constituent seulement le 10e contingent de migrants de la période. Contrairement aux Irlandais, notamment, les Néerlandais n’ont jamais contracté la « fièvre américaine ».
Comparée aux immigrants d'autres pays, l’émigration néerlandaise est remarquable par plusieurs aspects :
Si, au total, les émigrés néerlandais ne représentent que 300 000 personnes entre 1820 et 1920[2], certaines provinces (Zélande, Hollande-Méridionale et Frise, notamment) sont particulièrement touchées. En Hollande-Méridionale, la majorité des émigrés est originaire de l’île de Goeree-Overflakkee, touchée de plein fouet par la crise de la garance des années 1840, crise qui s’ajoute à la famine de la pomme de terre de 1845. Goeree-Overflakkee est la commune avec le plus fort taux d’émigration de l’ensemble du pays ;
Il s’agit essentiellement d’une émigration rurale jusqu’à la fin du 19e siècle ;
Contrairement aux émigrés allemands ou scandinaves – qui concerne en majorité des individus voyageant seuls –, les Néerlandais émigrent en famille. C’est le cas pour plus de 75 % d’entre eux. Les 2/3 des familles sont composées d’un couple aves des enfants. Pour le 1/3 restant, la moitié sont des veuf·ves avec enfants, l’autre moitié des couples sans enfant ;
90 % des émigrés néerlandais ont une destination bien précise en tête : les États-Unis d’Amérique, et parfois de manière très spécifique un État (Michigan, New Jersey), voire un comté (Paterson, New Jersey) ;
3/4 des immigrés néerlandais qui arrivent aux USA s’implantent dans 55 « townships » (district, municipalité) ou « city wards » (quartier) ;
Le choix d’émigrer était un choix dument réfléchi – on retrouve là le côté pragmatique du peuple néerlandais – ; essentiellement motivé par des raisons économiques – plus rarement par des raisons religieuses – ; inscrit dans une chaîne familiale et sociale – on ne partait pas seul, à l’aventure, mais on rejoignait une destination précise, où se trouvaient d’autres membres de la communauté (famille, amis).
Je retrouve ces motifs dans les données que j’ai récoltées au cours de mes recherches généalogiques :
Sur 97 personnes identifiées, nées aux Pays-Bas et ayant émigré aux USA, seules 3 n’émigrent pas à partir de l’île de Goeree-Overflakkee. 2 viennent de Texel (Hollande-Septentrionale) – où de nombreuses personnes originaires de Goeree-Overflakkee ont émigré pour y trouver du travail. 1 vient de Enkhuizen (Hollande-Septentrionale). Si la majorité des 97 personnes recensées sont des « cousins » directs, je note que la plupart de leur conjoint·e, lorsque le mariage est célébré après l’émigration aux USA, est elle·lui aussi originaire de l’île.36 personnes viennent de la commune de Ouddorp ; 32 viennent de la commune de Stellendam ; 13 viennent de la commune de Goedereede ; 6 de Den Bommel ; 5 de Ooltgensplaat ; 1 de Middelharnis et 1 de Stad aan ’t Haringvliet ;
La plupart partent « en famille », ou rejoignent un membre de la famille déjà exilé (généralement un ou plusieurs fils) ;
L’immense majorité s’installe dans le comté de Paterson, New Jersey. Quelques-uns s’implantent dans le comté d’Ottawa, Michigan ;
Les raisons du départ sont clairement économiques : les motifs indiqués dans les registres sont le plus fréquemment « verbetering van bestand » (amélioration des conditions de vie) et « armoede » (pauvreté).
De ce double mouvement – d’une part, le départ des familles entières issues de communautés spécifiques ; d’autre part, l’installation dans un nombre restreint de comtés – résulte une identité très forte, celle des Dutch Americans.
Les Néerlandais recréent des communautés centrées sur leur culture, leurs coutumes, et, bien sûr, leur Église.
Les « Kolonies » qu’ils fondent dans le Michigan s’appellent Holland, Zeeland, Drenthe, Vriesland, Noordeloos ou Harderwijk, reflets de la province ou de la commune dont ils sont originaires.
Dans le comté de Paterson, New Jersey, on les appelle Hollanders, Zeelanders ou Flakkeers.
Si les immigrants d’autre nationalité se sont plus rapidement acculturés, les Dutch Americans, eux, conservent une forte identité néerlandaise pendant plusieurs générations
Entre 1976 et 1990, une campagne de collecte de correspondances échangées entre les Dutch Americans et leurs familles aux Pays-Bas permet de réunir 4970 lettres[3]. Leur lecture et leur analyse montre que « les immigrants menaient leur vie sans entretenir de relations soutenues en-dehors de leur sous-culture ethnique. Ils et elles travaillaient, pratiquaient leur culte, se mariaient et socialisaient avec d’autres Dutch Americans. Les activités politiques et économiques nécessitaient quelques contacts à l’extérieur, mais ceux-ci restaient rares et ponctuels. Parce qu'ils avaient gagné le contrôle majoritaire de villes entières voire de comtés, les devoirs civiques ne nécessitaient pas de rencontres régulières avec l'establishment anglo-américain dominant. Il est également évident que ces sous-cultures autosuffisantes dans le Michigan et dans le Wisconsin ont largement reproduit les caractéristiques religieuses et sociales de la culture villageoise des Pays-Bas.[4] »
À suivre, portraits de « cousins » émigrés :
Passaic, New Jersey.
NOTES
[1] L’expression « Grande Émigration » fait plutôt référence à l’exode massif des Polonais à partir de 1831, mais Schoone-Jongen l’emploie ici, de manière plus large, pour faire référence à l’ensemble des émigrés européens qui rejoignirent le continent américain au 19e siècle.
[2] On estime à 60 millions le nombre d’Européens ayant quitté le continent au 19e siècle.
[3] Cette campagne a été menée par la Calvin University, Grand Rapids, Ottawa, Michigan. La Calvin University a été fondée en 1876 par la Christian Reformed Church – elle-même fondée par les Néerlandais immigrés, en 1857.
[4] Dutch American Voices, p. 24.
OUVRAGES ET ARTICLES CONSULTÉS
Brinks, Herbert J, Dutch American Voices: Letters from the United States, 1850-1930. Ithaca NY, Cornell University Press, 1995.
Schoone-Jongen, Robert. « There was work in the valley: Dutch Immigration to New Jersey, 1850-1920 », dans Tijdschrift voor sociale en economische geschiedenis 7-2. Amsterdam, openjournals.nl, 2010.
Schoone-Jongen, Robert. Hollanders in Northern New Jersey (blog, 2023-2024)
Swierenga, Robert P. « The Western Michigan Dutch », papier présenté à la Holland Genealogical Society, Holland, Michigan, 2004.
Swieringa, Robert P. « Exodus Netherlands, Promised Land America: Dutch Immigration and Settlement in the United States », dans Bijdragen en Mededelingen betreffende de Geschiedenis der Nederlanden. Amsterdam, KNHG, 1982, deel 97, p. 517 et suivantes.
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