Branche RAAP, 6e génération
Troisième partie

Le thème de la semaine 8 du challenge #52Ancêtres52Semaines est « Migration ». L'occasion pour moi de me pencher sur la vie de Cornelis RAAP et Lena van den BROEK après leur arrivée aux États-Unis, en 1888. Cet article fait suite à « Au commencement » et « Challenge ».
Le choix de l'émigration
Après leur sœur Geertrui van den BROEK (partie en 1867) et leur fils Jan RAAP (parti en 1887), c’est au tour de Cornelis RAAP et Lena van den BROEK de faire leurs valises et leurs adieux à l'île de Goeree-Overflakkee. Cornelis est alors âgé de 56 ans et Lena de 54.

Cornelis et Lena quittent Den Bommel le 5 juillet 1888 et arrivent à New York le 28 juillet 1888 à bord du Dutch Screw Steamer P. Caland en provenance d’Amsterdam, avec leurs trois plus jeunes enfants Maatje (20 ans), Jannetje (16 ans) et Aren (11 ans), ainsi que quelques deux cents autres passagers. La famille a emporté avec elle quatre bagages. À l’exception d’Aren, tous les membres de la famille sont indiqués comme « laborer » (travailleurs).
Vue du port de New York en 1892 ; Le navire P. Caland (source : Library of Congress)

Une fois débarqués à New York, et après avoir rejoint Paterson, le premier geste de Cornelis et Lena sera certainement d'envoyer une lettre à leur fils Jacob, resté en Hollande.
Un ou une voisine leur prêtera peut-être sa plume pour retranscrire les nouvelles, et peut-être traceront-ils leur signature maladroite au bas de la page.
Cette lettre aurait pu ressembler à ceci :
Paterson, 28 juillet 1888 Cher fils, Nous sommes bien arrivés à New York, tous en bonne santé et bien portants. Jan nous attendait et nous avons enfin pu poser nos valises, après un pénible voyage de quatorze jours. Il y avait beaucoup d'Allemands et quelques autres familles hollandaises à bord, et des gens d'autres pays [Irlande, Hongrie, Russie, Autriche, Suède...]. Beaucoup d'entre eux étaient des catholiques. Entre le mal de mer et la nourriture, suffisante, mais étrange, nous sommes contents de pouvoir enfin nous asseoir autour de la table, boire du café et manger un bon repas, constitué de pommes de terre, de viande et de haricots verts [c'est-à-dire un repas paysan hollandais tout ce qu'il y a de plus traditionnel]. Nous irons bien vite rendre visite à ta tante Geertrui. Nous allons enfin revoir notre chère sœur, après tant d'années ! Ton cousin Jacob Adrianus n'avait que trois ans quand ils ont émigré, et voilà qu'il est marié ! Nous allons faire connaissance de ton oncle Jacobus et des enfants James et John [1]. Eh oui, il faut s'habituer aux prénoms américains, désormais. Je me disais ce matin que nous sommes tellement loin de toi, désormais, c'est presque inimaginable, tout est encore si vivant dans notre esprit – dire qu'il y a seulement quatorze jours nous étions encore à Den Bommel, près de toi, notre fils. Nous espérons que la petite Lena se porte bien, et que vous aussi, vous choisirez de nous rejoindre, bientôt. Meilleures pensées, Cornelis et Lena
L'arrivée à Paterson
Ainsi que l'écrit Robert Schoone-Jongen dans son blog Hollanders in Northern New Jersey :
« Pour un Flakkeer, aller à Paterson était presque une évidence. Depuis que des passagers du Preciosa, arrivant de Ouddorp, passèrent leur premier hiver dans la région en 1847, les insulaires suivirent le chemin de ces pionniers, depuis Goeree-Overflakkee jusque dans la vallée de Passaic. En 1892, la route de Paterson – avec ses usines textiles, ses teintureries, ses ateliers ferroviaires – était bien tracée, et pavée de promesses d'emploi. » [2]
Cornelis RAAP et Lena van den BROEK s'installent durablement à Paterson – quand Geertrui van den BROEK et Jacobus de VRIES choisissent vers 1890 de poursuivre plus à l'est, jusqu'à la région de Grand Rapids, Michigan [3].
Le recensement de 1890 est malheureusement presque entièrement détruit, aussi je n'ai pas de détails de la vie de Cornelis et Lena entre le moment où ils débarquent du P. Caland et le recensement de 1900.
Cependant, je retrouve un événement d'importance pour la famille : le 21 septembre 1896, Cornelis RAAP dépose sa demande de naturalisation.
Cornelis RAAP, né à Bommel, Holland, arrivé aux USA le 28 juillet 1888, débarqué dans le port de New York City ; son nom complet est Cornelis RAAP, son âge 64 ans, sa profession travailleur ; il réside au 339 de North 11th street, Paterson. Son témoin est Aren KAMERLING.
Cornelis ne signe pas, mais appose sa marque au bas du document.
Sa demande est acceptée quelques semaines plus tard, et Cornelis RAAP appose sa marque au bas du précieux document le 6 novembre 1896 ; il « jure sur la loi de soutenir la Constitution des États-Unis absolument et entièrement, et abjure toute fidélité à tout autre souverain, et particulièrement à la Régente des Pays-Bas, dont il était jusqu'à présent sujet. » [4]
En tant que femme mariée, Lena van den BROEK acquiert la citoyenneté américaine par extension [5].
La vie à Paterson
Les lettres recueillies dans le cadre du projet Dutch Immigrant Letters de l'université de Calvin, Michigan, montrent que les Néerlandais arrivés dans le New Jersey trouvent en arrivant une autre vie de dur labeur.
Pour les Hollandais, la différence fondamentale est le passage d'un mode de vie rural et agricole à un mode de vie urbain et industriel. Ainsi que l'écrit Herbert J. Brinks, ces différences considérable de contexte ne les empêchent pas de s'adapter :
« Ils trouvèrent du travail dans les usines textiles, la construction de routes et autres activités de cols-bleus, et comme en Frise [ou, dans le cas de Cornelis et Lena, comme en Hollande], leurs jeunes enfants trouvèrent du travail à temps plein [6]. »
Peut-être que Cornelis écrivit lui aussi à son fils Jacob, resté en Hollande, des mots comme ceux-ci :
« Je ne travaille plus dehors. Je travaille à l'usine. Environ 500 personnes travaillent ici, et mon travail est facile. Parfois, nous n'avons rien à faire. Nous avons plus de travail dans la soie que vous en Hollande dans le lin. Je gagne quatre dollars pour une semaine de cinquante-cinq heures [7]. »
En 1888, lorsque Cornelis et Lena arrivent dans le New Jersey, Paterson a déjà acquis sa réputation de « capitale de la soie ».
Les Hollandais se regroupent autour de leurs églises et de leurs écoles, situées au nord de la Passaic River, près de l'intersection de Haledon Avenue et de East Main Street.

La famille RAAP s'inscrit totalement dans ces schémas de l'immigration hollandaise : elle est recensée en 1900 dans le Manchester Township, au n°278 de North 11th Street, au milieu du quartier hollandais.
Leurs fils travaillent dans l'industrie textile : John, 36 ans, comme ouvrier teinturier (laborer, dye house), et Harvey, 24 ans, comme tisseur de soie (silk weaver).
Localisation du n°278, North 11th Street, dans le Manchester Township (aujourd'hui Prospect Park Burough)
La vie n'est pas facile, à Paterson, et certaines années, le travail vient à manquer.
L'industrie de la soie, notamment, connaît une période de grèves intenses en 1893-1894 et en février 1895, Maartje LAUTENBACH ZONDERVAN écrit à son frère :
Il y a beaucoup de chômage, ici. Des milliers de personnes arpentent les rues, car elles n'ont pas de travail. Et ça dure depuis déjà dix mois. Notre fille Antje travaille dans l'usine de soie, Jeltje a eu une infection de la gorge, mais va mieux à présent. Mon mari n'a pas de travail lui non plus. C'est un mauvais hiver, ici. Nous avons eu beaucoup de neige, et depuis quelques jours il fait plus froid que jamais. C'est un double hiver pour beaucoup de gens – à la fois à l'intérieur et à l'extérieur. Il y a pas mal d’œuvres de charité ici, et si ce n'était pas le cas, des milliers de personnes mourraient de faim et de pauvreté. Ceux qui ont encore du travail ont des salaires de misère, alors il y a des grèves presque chaque jour. Nous espérons que cela va bientôt changer. Sinon, ce sera aussi pire ici qu'aux Pays-Bas [8].
En 1900, après 12 ans passés aux États-Unis, Cornelis et Lena ne parlent pas anglais.
Le couple est propriétaire de sa maison – bien que celle-ci soit hypothéquée.
Peut-être pour effacer un passé douloureux, il est indiqué que Lena a eu 5 enfants et que les 5 sont en vie – les deux petites Maatje qui n'auront pas vécu ne sont donc pas citées.
Les filles de Cornelis et Lena, mariées, résident à quelques minutes de là, sur Jefferson Street.
En 1910, on retrouve Cornelis et Lena chez leur fille Jennie et son mari John de BOER, avec leurs 9 enfants, au 109 Kentucky Avenue. John et ses deux aînés travaillent à la Flax company.
On ne retrouve plus trace par la suite de Cornelis et de Lena, lors des recensements de 1915 et 1920. Ils décèdent certainement entre 1910 et 1915, âgés d'environ 70 à 75 ans.
À suivre : un dernier article sur les descendants de Cornelis et Lena aux États-Unis.
NOTES
[1] Geertrui van den BROEK émigre durant l'été 1867 avec son mari Jan van PUTTEN et leurs deux fils Jacob Adrianus (°1864) et Adrianus (°1866).
Jan van PUTTEN meurt peu de temps après leur arrivée aux États-Unis, car je retrouve Geertrui en 1873, lors de la naissance de son fils James, issu d'un second mariage avec Jacobus de VRIES. Un deuxième fils leur est connu, John, né en 1879. Le fils aîné de Geertrui, Jacob Adrianus, épouse Lena van VLIET en 1886 à Paterson.
[2] Robert SCHOONE-JONGEN, « 19-Grand-parents-I », Hollanders in Northern New Jersey, https://robertschoonejongen.wordpress.com/2025/02/20/19-grandparents-i/ [consulté le 25 février 2025].
R. SCHOONE-JONGEN a consacré un article à l'enclave hollandaise de Paterson : « First Enclaves: Paterson », Hollanders in Northern New Jersey, https://robertschoonejongen.wordpress.com/2024/08/28/11-first-enclaves-paterson/ [consulté le 25 février 2025].
[4] Pour obtenir sa naturalisation, le requérant procédait en deux étapes : après deux ans de résidence aux États-Unis, il pouvait déposer une « déclaration d'intention » de devenir citoyen américain. Trois ans plus tard, il pouvait déposer sa « demande de naturalisation » (petition for naturalization). À l'issue du processus, le requérant se voyait délivrer un certificat de citoyenneté (ou certificat de naturalisation). Voir : « Naturalization Records », National Archives, https://www.archives.gov/research/immigration/naturalization [consulté le 25 février 2025].
[5] « “Any woman who is now or may hereafter be married . . .”, Women and Naturalization, ca. 1802-1940 », National Archives, https://www.archives.gov/publications/prologue/1998/summer/women-and-naturalization-1.html [consulté le 25 février 2025].
[6] Herbert J. BRINKS, Dutch American Voices: Letters from the United States, 1850-1930. Ithaca, London : Cornell University Press, 1995. P. 292 (traduction personnelle).
[7] Lettre de J. G. BOEKHOUT datée du 13 novembre 1893, in Dutch American Voices, p. 292. (traduction personnelle).
[8] Dutch American Voices, p. 295 (traduction personnelle).
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