« Très chers père frères et sœurs » : Lettres au Vieux Pays
52 Ancêtres en 52 Semaines, Semaine 5 : Influenceur
52 Ancêtres en 52 Semaines, dans le texte original 52 Ancestors in 52 Weeks, est un challenge d'écriture généalogique proposé par Amy Johnson Crow.
Nous avons laissé Hendrik BAKELAAR en 1851 à Paterson. Dans sa dernière lettre, il encourageait vivement sa famille à émigrer aux États-Unis.
Il sera bientôt entendu, et en l'espace de deux décennies, sera rejoint par la plus grande partie de sa famille. Un influenceur de la première heure...
En 1853, c'est sa petite sœur Neeltje qui effectue la traversée. Suivie en 1854 par Cornelis BAKELAAR et sa famille.
De Hendrik BAKELAAR, Paterson, New Jersey
À son père Dirk BAKELAAR, Goedereede
Septembre 1854
Cher père bien-aimé, Par la grâce de Dieu nous pouvons rapporter que nous allons tous bien. Mais c’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de ma belle-mère[1]. Père, je vous en supplie, rejoignez-nous ici. Il y a du travail pour tout le monde. Nous pouvons louer un logement plus grand, ou vous pouvez louer une chambre dans la même maison que nous. Ma chère sœur Neeltje nous a rejoint l’an dernier et se plaît beaucoup ici. Elle a trouvé du travail dans une usine de soie comme fileuse. Elle gagne bien sa vie. Nous étions ravis d’apprendre que sœur Aagtje s’est remariée. Et que sœur Adriaantje ait épousé Jacob van der Wal [2]. Bien que ces bonnes nouvelles soient ternies par l’annonce de la mort de ma belle-mère. Nous avons aussi une annonce à faire : notre famille s’est à nouveau agrandie. Une petite fille que nous avons prénommée Cornelia. Klaartje, notre fille aînée, a maintenant six ans. Elle va à l’école. C’est une école hollandaise[3], mais elle apprend l’anglais. L’école coûte 50 cents par mois. Elle apprend vite l’anglais. Plus que moi, et surtout plus que Lena, qui reste à la maison ou avec les voisines hollandaises. Nous sommes très heureux de retrouver notre cousin Cornelis Bakelaar[4]. Après la mort de sa seconde épouse, il a sans doute réalisé que l’avenir ne lui réservait plus rien de bon, dans notre vieux pays. Et que le futur serait meilleur pour ses enfants en nous rejoignant aux États-Unis. Il est arrivé avec sa vieille mère de soixante-seize ans. Le trajet l’a beaucoup éprouvée et elle est encore très fatiguée. Ses fils Jacob et Aren ont tout de suite trouvé du travail. C’est comme ça, ici. Celui qui est prêt à travailler chaque jour gagnera bien sa vie. Et comme le coût de la vie est moindre qu’aux Pays-Bas, il peut même mettre de l’argent de côté. Père, je vous enjoins de nous rejoindre. Plus rien ne vous retient à Goedereede. Vos deux filles sont mariées et ont chacune leur vie, et ici, deux enfants vous attendent, ainsi que trois petites-filles. Pensez-y sérieusement, je vous en prie ! Votre dévoué fils, H. BAKELAAR
PS : mes beaux-parents, les parents de ma chère épouse Lena, envisagent très sérieusement de nous rejoindre. Peut-être pouvez-vous prévoir de voyager ensemble ?
En 1856, Dirk, le père de Hendrik et de Neeltje, ainsi que leur soeur Adriaantje, son mari Jacob van der WAL et leurs deux enfants, décident à leur tour de quitter la Hollande, qui, à l'évidence, ne leur promet pas un futur rayonnant.
De Adriaantje BAKELAAR, New Jersey
À sa sœur Aagtje BAKELAAR, Ouddorp
1856
Bien-aimée sœur, cher beau-frère, C’est avec un grand soulagement que je peux vous rapporter que notre voyage s’est bien passé et que nous sommes bien arrivés à Paterson. Nous prévoyons de rester un peu dans le même quartier que Hendrik. Tout est très impressionnant ici. Les gens qui habitent en Hollande ne peuvent pas s’imaginer à quoi ça ressemble, ici : à la place des canaux et des rigoles, il y a des rivières et des cascades. Il y a une grande cascade ici à Paterson. J’aimerais que vous puissiez voir ça. C’est la cascade qui a permis d’alimenter les usines en énergie. C’est pour ça qu’il y a tant de travail ici. Jacob a trouvé du travail tout de suite. Willem et Cornelis ont fait connaissance avec beaucoup de curiosité de leurs cousines. Il y en a trois, mais il y aura, si Dieu le veut, un nouveau bébé prochainement, dans la famille de Henry et Lena. C’est comme ça qu’on les appelle ici. Notre cher père a un peu souffert de la traversée, mais il va déjà mieux. Il a tout de même bientôt quatre-vingt ans. C’est un âge vénérable, puisse Dieu vouloir que nous vivions aussi longtemps que lui. Et si non, c’est qu’Il en aura voulu autrement, et ce sera bon aussi. Chère sœur, je comprends que tu ne veuilles pas voyager avec deux petits bébés, mais je t’en conjure, pense à tes enfants. Ils n’ont pas d’avenir, sur l’île[5]. Ici, ils pourront trouver du travail facilement. Klaartje a dix-huit ans, elle peut nous rejoindre et travailler comme domestique, ou alors dans une usine. Il y a beaucoup de jeunes Hollandais très travailleurs, ici, elle pourra avoir sa propre famille. Il y a beaucoup de gens de l’île qui vivent à Paterson. Il y aussi beaucoup de Hollandais qui sont partis plus à l’est, dans le Michigan. Mais pour l’instant, le voyage coûte trop cher. Il faut économiser. On nous rapporte qu’il est facile d’acheter de la terre là-bas. Nous espérons pouvoir partir là-bas, quand nous aurons mis suffisamment d’argent de côté. Nous espérons que vous allez tous bien et que nous vous reverrons bientôt. Votre sœur dévouée,
Arjaantje BAKELAAR
[Nous perdons la trace de Dirk BAKELAAR après son départ des Pays-Bas, de même que nous ne savons pas ce qu’il est advenu de sa fille Neeltje, émigrée en 1853. Les passages les concernant sont donc entièrement fictifs.]
NOTES
[1] La seconde épouse de Dirk BAKELAAR, Ariaantje van SPLUNDER, est décédée le 1er août 1854.
[2] En février 1854, Aagtje BAKELAAR épouse en secondes noces Jacob de VOGEL, de dix ans son cadet. En mars 1854, Adriaantje BAKELAAR épouse Jacob de VOGEL, de treize ans son cadet.
[3] École gérée par l’Église réformée en Amérique (Reformed Church in America, RCA). L'Église a été fondée par les premiers colons néerlandais du XVIIe siècle.
[4] Cornelis BAKELAAR est un cousin au 2e degré de Hendrik et ses sœurs. Il est lui aussi un arrière-petit-fils de mon ancêtre à la 10e génération, Pieter BAKELAAR.
[5] Adriaantje fait référence à l’île de Goeree-Overflakkee, dont la famille est originaire, et qui est une île très pauvre de la province de Hollande-Méridionale.
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